Jeudi Saint – « Comme lui nouer le tablier »
Y-a-t-il un huitième sacrement ? C’est la question posée par un Frère dominicain* ? Et il y répond très clairement : oui, il y a un huitième sacrement, et Jésus nous le fait découvrir dans l’évangile du Jeudi Saint.
Le Jeudi Saint ! Jour où nous commémorons l’institution de l’eucharistie, « source et sommet » de la vie de notre Eglise. Vous vous dites peut-être en vous-même : c’est sans doute vrai, mais depuis un an, nous avons l’impression que la source est tarie, que nous sommes empêchés d’accéder à ce sommet de la vie de nos communautés.
Pourtant, le Jeudi Saint, l’évangile ne nous offre pas le récit de l’institution de l’eucharistie, mais celui du lavement des pieds. L’eau de la source est recueillie dans un bassin, et Jésus s’abaisse pour laver les pieds de ses disciples. On a l’impression que le sommet se reflète dans l’eau d’un lac pour en faire deviner toute sa profondeur. Celui qui est bel et bien « le Maître et le Seigneur » se fait serviteur et esclave. Le Très-Haut choisit librement d’être le Très-Bas. Et il institue le huitième sacrement : le sacrement du frère ! « Faites ceci en mémoire de moi, », dit Jésus à la table eucharistique (1 Co 11, 25) ; « Faites ceci en exemple de moi, » dit-il en mettant la tenue de service (Jn 13, 15).
Portes closes
Il y a un an d’ici, lors de la première vague de la pandémie, nos rassemblements étaient tout simplement interdits. Mais nos églises – en Belgique en tous cas – sont toujours resté ouvertes pour la prière personnelle. Le déplacement vers « son » lieu de culte était explicitement autorisé. Cette année, nous pouvons faire un peu plus : quinze personnes sont admises pour assister à la messe. Mais est-ce vraiment un plus ? Quand les quinze ont pris place dans l’église, on ferme les portes, et à clé, s’il vous plaît ! Bonjour, tristesse ! Comprenez-moi bien : j’aime toujours célébrer l’eucharistie, et elle me donne une joie profonde. Mais il y a une parole de l’apôtre Paul qui me revient souvent à l’esprit : « J’ai au cœur une grande tristesse et une douleur incessante » (Rm 9, 2). L’apôtre le dit en pensant à ses frères et sœurs juifs qui n’ont pas reconnu le Christ Jésus et n’ont pas rejoint la communauté de l’Eglise. Notre tristesse et notre douleur sont d’autant plus grandes que ceux qui sont privés d’eucharistie croient au Christ et voudraient nous rejoindre. Cela me fait de la peine de savoir ou de voir des frères et sœurs dehors, devant la porte…
Pour nous qui sommes ensemble dans cette chapelle, il y a une véritable tentation : c’est de nous contenter de et de nous enfermer dans notre « bulle de quinze ». Nous risquons de nous complaire dans nos banquets eucharistiques et d’oublier ce qui se passe dehors devant notre porte. Je ne peux m’empêcher de penser à la parabole du riche et de Lazare (Lc 16, 19-31). Jésus met en garde le riche qui profite tous les jours de « brillants festins » et qui ne voit pas l’homme qui est devant sa porte. Dans le contexte actuel, la parabole peut nous faire penser à l’eucharistie. Mais j’y vois davantage un appel à résister à la tentation de ne jurer que par l’eucharistie et d’oublier le sacrement du frère.
« Où est ton frère ? » (Gn 4, 9)
J’ai pris davantage conscience de cette terrible tentation ce 25 mars. Le 25 mars, fête du « oui » de Marie, est aussi un jour important pour les Filles de la Charité, car lors de l’eucharistie de ce jour, chacune d’entre elles renouvelle ses vœux. Une très belle tradition que nous avons perpétuée dans la chapelle du Saint Sacrement. Quand, après la messe, nous avons ouvert la porte pour partir, un jeune homme était assis là dehors sur un des bancs. Quand tout le monde était parti, il s’est approché de moi : « Monsieur le prêtre, vous voulez bien m’écouter un moment ? » – « De quoi s’agit-il ? », lui ai-je répondu, pensant régler l’affaire sur le seuil de la porte. « Je ne peux pas entrer et vous parler un peu ? » Vous le voyez : j’allais faire l’impasse sur le sacrement du frère et l’envoyer promener gentiment. Heureux d’avoir célébré le sacrement de l’eucharistie, je pensais avoir accompli ma mission. Saint Vincent de Paul, le fondateur des Filles de la Charité, m’aurait très certainement rappelé à l’ordre. Pour lui, l’eucharistie est un trésor inestimable : « Ô digne et admirable institution qui passez la capacité de l’entendement humain ! », s’exclame-t-il émerveillé. Mais ce grand amour de la messe est inséparable de la charité inconditionnelle pour le prochain. S’adressant à « ses » Filles, Monsieur Vincent les encourage à interrompre la prière ou la méditation quand il s’agit d’assister un pauvre qui frappe à la porte. Il a forgé cette merveilleuse formule : « quitter Dieu pour Dieu. »
Le sacrement de l’eucharistie et le sacrement du frère sont inséparables. Et, à bien écouter Jésus, le sacrement du frère passe même avant. N’est-ce pas ce que le Seigneur laisse entendre quand il nous dit : « Lorsque tu vas présenter ton offrande à l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande, là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande. » (Mt 5, 23-24)
Abbé Leo Palm
*Frère Gilles Danroc o.p., Le sacrement du frère.
Prière universelle
Ce soir, Jésus livre sa vie entre les mains des hommes. Qu’il nous rende accueillants à son amour qui va jusqu’à l’extrême :
- Tu es venu rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés : Seigneur Jésus, donne-nous de nous émerveiller de notre dignité d’enfant de Dieu ; rassemble-nous dans une vraie communion fraternelle. Donne-nous de redécouvrir avec émerveillement le Don de Dieu.
- Tu t’es mis à genoux devant tes disciples et tu leur as lavé les pieds : Seigneur Jésus, donne-nous d’être serviteurs les uns des autres dans une Eglise qui n’est pas là pour être servie, mais pour servir. Que les chrétiens soient toujours aux côtés de ceux qui peinent pour un monde juste et fraternel.
- Tu as pris le pain et le vin, fruit de la terre et du travail des hommes, et tu en as fait le sacrement de ton amour : Seigneur Jésus, donne-nous de croire de tout cœur que la force des doux est plus puissante que la brutalité des violents, et que seul l’amour peut vaincre la haine meurtrière.
- Tu as confié à tes apôtres l’eucharistie qui est vitale pour ton peuple : Seigneur Jésus, donne à ton Eglise les diacres et les prêtres qui dresseront la table pour nourrir ton peuple du pain vivant, tout au long de son pèlerinage sur cette terre.
En ce soir, Seigneur Jésus, nous unissons notre prière à la tienne. Nous te rendons grâce pour tant d’amour et te confions l’humanité tout entière que tu veux sauver par ta Passion. Qu’elle reconnaisse de quel amour passionné tu l’aimes maintenant et dans les siècles des siècles.
Une prière
Quand Jésus se lève de table
Quand Jésus se lève de table,
Se démet de son vêtement,
Dieu rejoint la dernière place,
Dieu se tient dans l’abaissement.
Qui pourrait comprendre à cette heure
L’infini d’un Dieu qui décroît?
Qui pourrait aimer à cette heure
La folie d’un Dieu qui déchoit?
Le Seigneur, en tenue d’esclave,
A genoux devant ses amis,
A voilé l’éclat de sa face
Pour servir comme il l’avait dit.
Qui pourrait aimer à cette heure
La folie d’un Dieu qui déchoit?
Qui pourrait tenir à cette heure
Le défi de l’amour en croix?
Quand Jésus regagne la table,
Se revêt de son vêtement,
Dieu pour nous a pris cette place
D’où il veut régner en servant.
Qui pourrait rougir à cette heure?
L’amour seul est digne de foi.
Qui pourrait oublier cette heure,
Où l’amour a dicté sa loi ?