L’heure est grave. Depuis l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, le vent a tourné. Un vent contraire et glacial frappe Jésus et ses disciples, un vent d’hostilité et de menaces. Alors, le Seigneur les emmène au Cénacle. Il leur lave les pieds, leur offre le pain et le vin. Ceci est mon corps livré pour vous. Ceci est mon sang versé pour vous. Prenez, mangez, buvez. Il leur donne un commandement nouveau : Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. Après avoir chanté les psaumes, ils quittent le Cénacle pour le Mont des Oliviers. Jésus entre dans le combat de la prière. Les disciples, eux, dorment. Arrivent les soldats pour arrêter le Seigneur, et les apôtres se dispersent, disparaissent dans la nuit, à quelques rares exceptions près…
Le dimanche soir, ils sont à nouveau au Cénacle. La peur les paralyse, la porte est verrouillée. Subitement, Jésus est là au milieu d’eux : Shalom, paix à vous. Il leur montre les plaies de ses mains et de son côté. Puis il souffle sur eux : Recevez le Saint Esprit. Oui, le crucifié a retrouvé son souffle de vie et le communique aux siens. Ils revivent avec le Vivant, ils ressuscitent avec le Ressuscité.
Ils osent maintenant ouvrir les portes et s’aventurent dans ce monde qui leur paraissait tellement hostile, pour y annoncer le Christ, mort et ressuscité. Mais ils reviendront toujours au Cénacle : c’est ici que bat le cœur de la communauté des croyants. Mais ils n’y reviennent pas pour s’y enfermer et se couper du monde. Comme le cœur pompe le sang dans tout le corps, les disciples du Christ sont envoyés parmi les hommes, jusqu’aux extrémités de la terre. Leur peur a fait place à la confiance, l’audace chasse leur couardise et leur lâcheté.
Le monde est resté le même, il n’est pas nécessairement plus accueillant. Mais ils ne se laissent plus intimider. Ils proposent l’Évangile, sans l’imposer par la force. Et à leur grand étonnement, beaucoup sont touchés, se convertissent, se font baptiser et rejoignent la communauté des chrétiens.
Et qu’en est-il aujourd’hui ?
Le monde dans lequel nous vivions en tant que chrétiens est pour une part hostile, comme du temps de Jésus. Il est surtout indifférent. Il se moque littéralement de l’Église et de ceux qui osent se dire disciples du Christ. Beaucoup de nos communautés, paroissiales ou religieuses, se réduisent comme une peau de chagrin. Est-ce que les chrétiens sont une espèce en voie de disparition ? Sommes-nous les derniers des Mohicans ?
Comme les temps et le climat changent, le biotope de tant de plantes, d’animaux et de tribus humaines est détruit, avec des conséquences néfastes, voire fatales. Est-ce que le climat hostile ou indifférent ne sera pas fatal aux chrétiens ? Le monde est comme il est. Nos communautés, par contre, seront ce que nous en ferons !
Depuis quelques mois, un animal qui avait disparu de nos contrées a fait son grand retour. Naya, une louve, vit depuis peu dans le Limbourg belge. Les sentiments que nous inspire ce retour sont mitigés. La peur du grand loup est toujours présente, notamment chez les éleveurs de moutons. Un autre animal, beaucoup plus discret, est de retour depuis plusieurs dizaines d’années. Il s’agit des castors. Ces rongeurs sont tout à fait remarquables, car ils créent leur propre biotope. Ils construisent leur barrage, leur hutte, leur terrier au prix d’un travail immense. Ce retour des castors a un impact positif sur l’environnement : des plantes et des insectes qui avaient disparu ont fait leur retour auprès des plans d’eau créés par les castors. Parfois, intempéries et crues peuvent abîmer barrages et huttes, mais le castor est sur la brèche, il répare et reconstruit sans se lasser. Un modèle de patience, de persévérance et de ténacité.
Comme les castors, les chrétiens sont capables de créer leur propre biotope : le cénacle, c’est essentiellement ce « milieu de vie » des chrétiens. Jésus les y conduit le Jeudi saint, il les y rejoint le dimanche de Pâques. Il est là, au milieu des siens. Il suffit que nous soyons deux ou trois réunis en son nom pour qu’il soit présent ! Ces réunions au Cénacle ont un « contenu » que les Actes des Apôtres décrivent clairement : Ils étaient assidus à l’enseignement des Apôtres, à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières (Ac 2, 42). C’est dans ce biotope où on cultive la Parole, l’eucharistie, la fraternité et la prière, que la foi, l’espérance et la charité peuvent se développer et grandir. J’aime beaucoup le petit mot « assiduité » que saint Luc utilise très volontiers. Les membres de la communauté ne viennent pas de temps en temps, quand bon leur semble. Ils ont un besoin vital de la communauté, et la communauté a un besoin vital d’eux. Ainsi, dans certaines communautés paroissiales, les membres s’engagent à être présents aux grandes fêtes chrétiennes, à Noël ou pendant le triduum pascal : impensable de partir en vacances à ce moment-là ! Un choix délibéré !
Même dans un environnement hostile, les chrétiens se réunissent clandestinement. Pensez seulement à Monseigneur François-Xavier Nguyen van Thuan, cet évêque vietnamien qui a croupi pendant 13 ans en prison. L’objectif des communistes était clair : « rééduquer » ces chrétiens, leur enlever la foi de leur cœur et de leur esprit. Mais, même en prison, l’évêque est parvenu à célébrer l’eucharistie avec quelques chrétiens enfermés avec lui. Quelques hosties, trois gouttes de vin dans la paume de la main, servant de calice. Et l’adoration d’une petite hostie pendant toute la nuit, à tour de rôle. Les mesures de rééducation communistes ne l’ont pas emporté sur leur espérance ! Pensez aussi à saint Maximilien Kolbe qui accepte de descendre dans le bunker de la faim à la place d’un père de famille. Avec ses codétenus, Maximilien a transformé le bunker en cénacle. Des chants à la gloire de Dieu s’élevaient de ce lieu de mort et le pardon accordé aux bourreaux rayonnait de cette prison.
Jésus nous donne rendez-vous au cénacle : il est là, au milieu des siens, il nous nourrit de sa parole et de son pain de vie, il souffle sur nous l’Esprit et met dans nos cœurs la charité pour vivre vraiment en frères et sœurs. Soyez mes témoins, dans le monde tel qu’il est !
Voyez les castors ! Une espèce en voie de disparition ? Pas du tout ! Ils sont en train de vivre leur grand retour. Croyez-moi, vous valez bien plus que les castors !
Abbé Leo Palm
Quelques photos de la célébration et de l’adoration qui a suivi :